Bonsoir à tous,
Dans une de mes dernières lectures, j’ai d’découverts ceci
Voici le récit des combats au bois des Caures, ou le colonel Driant trouva la mort à la tête des 56 et 59èmebataillons de chasseurs.
Ces extraits sont tirés de :
« Verdun, la plus grande bataille de l’Histoire racontée par les survivants »
De Jacques-Henri Lefebvre aux Editions du Mémorial
I.S.B.N. : 2.901186.10.6
LA VEILLÉE DES ARMES
Cette aube sinistre du 21 février, le lieutenant-colonel Driant l’a vu venir au milieu de ses chasseurs du bois des Caures. Dans la nuit, il a écrit ces deux lettres, sublimes dans leur simplicité :
Le 20 février 1916, a Mme Driant.
« Je ne t’écris que quelques lignes hâtives, car je monte là-haut encourager tous mon monde, voir les derniers préparatifs ; l’ordre du général Bapst que je t’envois, la visite de Joffre hier prouvent que l’heure est proche et au fond, j’éprouve une satisfaction à voir que je ne me suis pas trompé en annonçant il y a un mois ce qui arrive, par l’ordre du bataillon que je t’ai envoyé.
A la grâce de Dieu ! Vois-tu je ferai de mon mieux et je me sens très calme. J’ai toujours eu une telle chance que j’y crois encore pour cette fois.
Leur assaut peut avoir lieu cette nuit comme il peut encore reculer de plusieurs jours .Mais il est certain que Notre bois aura ses premières tranchés prises dés les premières minutes, car ils y emporteront flammes et gaz. Nous le savons par un prisonnier de ce matin. Mes pauvres bataillons si épargnés jusqu’ici ! Enfin, eux aussi ont eu de la chance jusqu'à présent … Qui sait ! Mais comme on se sent peu de chose à ces heurs-là ! »
Le 20 février 1916 à un ami.
« Ce soir je passe en revue tous ceux et toutes celles à qui je veux envoyer ma pensée avant l’assaut. Je parle de l’assaut ennemi que nous attendons de jour en jour et qui est certain maintenant que le général J… est venu nous l’annoncer hier et nous dire qu’il comptait sur nous. Il peut y compter. Et le Kronprinz qui a annoncé a ses quatre corps d’armée la prise de Verdun terminant la guerre, va savoir se qu’il en coûte pour ne pas le prendre. J’éprouve une certaine satisfaction à l’avoir annoncé d’avance cet assaut. Il vous souvient sans doute de l’ordre du groupe de chasseurs qui a du vous être envoyé. Quand il a paru quelques uns hochaient la tête. Certains indices ne m’avaient pas trompé.
Prévoir « la guerre de demain » n’était pas difficile : elle devait venir .Prédire cette ruée sur Verdun, nécessitée par le besoin d’avoir un succès à annoncer au Reichstag avant le vote du nouvel emprunt, était le plus risqué. Nous allons l’avoir.
Beaucoup des chasseurs que vous avez gâtés ne seront plus là d’ici huit ou quinze jours, et c’est ce qui m’attriste en pensant à demain. Les avoir épargnés depuis dix-huit mois comme j’ai eu la chance de le faire et les voir fondre dans la fournaise où ils vont tomber ! Enfin c’est la guerre… Quand à mois j’ai toujours eu une chance telle qu’elle ne m’abandonnera pas et j’espère vous écrire quand nous aurons franchi le dur passage.»
On notera que quand Driant observe que ses chasseurs ont été « si épargnés jusqu’ici » Il est bien modeste. Car sept mois plus tôt jour pour jour il écrivait à son ami Richardot :
« J’ai perdu 1300 chasseurs depuis le commencement dans six combats dont deux très durs en Argonne, 26 officiers, mais il me reste un noyau du début qui est devenu admirable de résistance et de moral et qui dresse à son image tous les nouveaux arrivants. Aussi, quand nous rentrerons enfin en Allemagne, quand l’épuisement les obligera à fragmenter leur front, vous verrez si mes deux bataillons sont les derniers.
Je remercie Dieu de m’avoir donné la santé qui m’a permis de n’avoir pas un jour d’indisponibilité depuis le 6 août et d’avoir vu se réaliser ce que j’avais si souvent rêvé. Au moins je l’aurai faite, cette guerre de revanche.
Je suis allé quelque jours a Paris, quatre fois entendre des ministres à la commission de l’armée et ces instants ne me donnaient que l’envie de revenir vite ici… J’ai passé hier une revue et ai distribué 75 croix de guerre, embrassé 75 poilus de la bonne trempe. Ce sera beau l’histoire de la guerre, vous savez. Ah ! certes oui, nous les aurons battus, seuls sans aide, au moins dans la première année. »
JOURNÉE DU 21 FÉVRIER
Le bombardement commence.
Si violent est le tremblement de terre engendré par la canonnade qu’il se propage à prés de 200 Km. Près du lac Noir, dans les Vosges, le général Passaga note ; « Je perçois nettement par le sol de mon abri un roulement de tambour incessant, ponctué de rapides coups de grosse caisse ».
« Sur cinq poilus, deux sont enterrés vivants sous leur abri écrasé, deux sont plus ou moins blessés et le troisième attend… » Impression laissée par le caporal Maurice Brassard, du 56ème B.C.P. dans sa tranchée de première ligne au bois des Caures.
Ce carnage immobile, où l’ennemi reste totalement invisible, va se poursuivre toute la matinée et l’après-midi ; les tourbillons de neige s’illuminent sans cesse de la fulguration des éclatements de torpilles, d’obus de 77, 88, de 105, de 130, 150, de 210, 305 et de 380 … Des milliers de soldats français sont morts ou agonisent ; les survivants, couverts de terre et souvent de sang font « carapace » sur un sol gelé et attendent la mort à chaque seconde. Un million d’obus, éclatent dans l’étroit triangle Brabant-Ornes-Verdun.
L’ASSAUT.
A 16 heures, tandis que la neige a recommencé sa chute épaisse et silencieuse dans un demi-jour déjà crépusculaire, le tir des canons allemand s’allonge brusquement au nord de Verdun. Cet étroit secteur, ou nos malheureux soldats cessent de sentir le sol se convulser sous leurs paumes et retomber sur le dos en mitraille de cailloux et d’éclats, ce secteur n’a pas plus de 12 Km de large à vol d’oiseau.
Voilà l’étroit espace où les débris pantelants de deux divisions française, derrière lesquelles il ne reste plus en état de tirer qu’un petit nombre des 270 canons (en majorité de petit calibre et généralement ancien et à tir lent) vont, après neuf heures d’écrasement sous le feu, subir le choc de dix divisions d’élite allemande appuyées par le tir de plus de 1000 pièces. Derrière ce barrage roulant s’avance a présent a découvert les colonnes allemandes précédées de lance-flammes. La distance à parcourir varie de 50 à 900 mètres. Certaines de ces colonnes vont franchir l’emplacement de notre première ligne sans s’en douter, tant celui-ci a été pioché et retourné par le canon, qui a enfoui pêle-mêle abris, créneaux, tranchées, fils de fer et défenseurs. Elles avanceront en certain point de 3 Km sans se heurter à la moindre résistance, sans distinguer de nos soldats autre chose que quelques débris déchiquetés.
Mais d’autres colonnes voient avec stupeur des fantômes titubants et en loques se dresser à demi au rebord des trous d’obus. Hébétés, épuisés, sourds, à demi-fous, ces hommes obéissent à un réflexe de désespoir, de rage intrépide et de vengeance et ce réflexe est de frapper.
Ils balancent des grenades, s’ils en ont ; tirent, si leur fusil s’y prête malgré la terre qui le recouvre ; ils mettent avec fureurs leur baïonnette au canon .Et les fantassins allemand s’aplatissent au sol, dégoupillent des grenades, placent en batterie des mortiers de tranchée, lancent des fusées, téléphonent à l’artillerie ; ils ont beau être à dix contre un, ils sont stoppés ! Tel sera notamment le cas à la lisière nord du bois des Caures, que défendent les survivants des 56ème et 59ème B.C.P. avec quelques éléments du 165ème R.I. commandés par le lieutenant-colonel Driant.
Nous allons relater en détail la lente agonie de ces unités ; parce que d’une part leur « positions » se situe au centre de la ligne d’assaut et en pointe avancée, au nord exactement de Verdun, point de jonction entre les deux divisions dévastées qui supportent le coup de bélier allemand ; et que d’autre part les agonies d’autres bataillons ou régiments, qui tiennent encore les lignes à gauche et à droite, seront à peu près similaires ; d’où résulte que ce récit offre à la fois une somme et un symbole ; il permet d’imaginer l’ensemble de la bataille sur les nouveaux champs catalauniques où, en cinq jours, le sort de la France va se jouer.
L’AGONIE DU BOIS DES CAURES.
Le bois de Caures, bande boisée d’environ 3 Km de long sur 800 mètres de large en moyenne, est orienté du sud-ouest au nord-est, il couronne une légère hauteur dominant le village de Ville-devant-Chaumont, où gîtent les Allemands, et s’avance en brise-lames chez l’ennemi, avec les deux villages de Haumont et de Beaumont sur ses arrières, l’un a gauche, l’autre a droite .Des 1300 hommes que Driant, assisté du commandant Renouard (56ème B.C.P.) comptait sous ses ordres à l’aube, combien en reste il de vivant au moment où l’assaut se déclenche ? 300 ou 400 peut être… Et dans quel état physique et psychique !
Or 10000 hommes environ de la 21ème division allemande, soit 4 régiments à plein effectifs, assaillent, soutenus par le feu de 40 batteries lourdes, 7 batteries de campagne et 50 lance-mines ; 10000 hommes qu’on a entrainés et ‘gonflés’ soigneusement à l’arrière depuis quatre mois…
A la corne nord-ouest du bois, le jeune lieutenant Robin, commandant la 9ème compagnie, reste à la tête des débris d’un peloton de chasseurs, dans de minuscule ouvrage naguère fermé, et que le bombardement n’a pas entièrement effondré bien qu’il en ait détruit les réseaux protecteurs.
La disparition du barbelé permet aux Allemands, utilisant la configuration du terrain, d’arriver jusqu’au parapet de trois directions à la fois. Le colonel Grasset raconte cette triste attaque, vite au corps a corps :
On se bat d’abord à coups de fusils et le sergent Cosyns, d’un tir à répétition à moins de dix mètres, abat sept Allemands ; puis la lutte continue à la grenade et à la baïonnette et a coups de crosse. La mort épargne le lieutenant Robin qu’atteint légèrement au pied un éclat de grenade. Mais le chasseur Hénin, qui, seul interdisait le boyau de communication à une demi-section ennemie, tombe, la tête écrasée d’un coup de crosse. Le sergent-major Simon est défiguré par une grenade. Le sergent Berthe a la mâchoire fracassée par une balle. Le chasseur Dubois a le ventre ouvert d’un coup de baïonnette.
Robin et les survivants reculent de quelques dizaines de mètres puis à nouveau s’accrochent. Plusieurs compagnies allemandes s’acharne contre eux, pendant que deux bataillons d’attaque, glissant au long de la lisière du bois vers le sud, tombent sur les rescapés d’une autre compagnie, la 7ème, commandée par le capitaine Seguin. Quatre assauts successifs refoulent nos hommes…
« L’ennemi, écrit le colonel Grasset, est alors maître de toute la partie sud du bois Carré et les défenseurs de la lisière nord, qui tenaient en échec les colonnes d’assaut immobilisées dans le bois du miroir, sont pris à revers.
Il y a deux héros : le sergent Léger, dont les terribles mitrailleuses sont près de l’abri 17, et le sergent Legrand, qui occupe la tranchée 16 avec 6 chasseurs. Entre ces 14 hommes et les 2 bataillons allemands, la lutte fut terrible.
Entouré, Léger met ses mitrailleuses hors de service, puis il se défend jusqu’au complet épuisement des 40 grenades dont il dispose, jusqu'à la mise hors de combat de ses cinq chasseurs, jusqu’à ce que, lui-même, grièvement atteint, tombe sans connaissance.
Cet héroïque épisode a vivement frappé l’imagination des Allemands qui l’ont vécu et les journaux d’outre-Rhin l’ont relaté en grand détails pour qu’il soit donné en exemple à la jeunesse.
Le sergent Legrand, a juré, lui aussi de mourir plutôt que d’abandonner son poste. Ses 6 chasseurs n’ont que deux fusils en état de service. Ils hésitent, ils voudraient se replier, ils sont jeunes, ils sont braves mais ils tiennent à la vie. « J’ai reçu l’ordre de tenir jusqu’au bout, dit Legrand. Nous avons des grenades et des baïonnettes. Il faut rester là ! »
Ils y sont restés. Un seul d’entre eux, blessé, est revenu des prisons d’Allemagne. (Mais il y est mort, en 1944, déporté comme résistant. C’est le caporal J Hutin.)
C’est sur les ruines de menus ouvrages de clayonnages et de terre que la dernière attaque a acculé Seguin et la dernière poignée de ses hommes :
Le capitaine Séguin avait concentrés les survivants de ses trois sections dans S7, dans S8 et dans la tranchée du boyau de communication. Une compagnie l’attaquait de front. Deux ou trois compagnies se glissaient entre S7 et S8. Environ un bataillon prenait à revers S8. C’était une marée montante, au milieu de laquelle les cinquante chasseurs de Séguin furent bientôt un petit îlot.
Les nôtres épuisent leurs munitions, les grenades surtout, car il n’y a plus dans l’ensemble six fusils utilisables de la 7ème ne sont plus que quarante, que trente, que vingt… S8 est submergé. Les grenades crépitent toujours…Entre S7 et S8, les Allemands ont amené une mitrailleuse et un canon-revolver. L’un après l’autre les chasseurs disparaissent. S8 est écrasé. Séguin est atteint coup sur coup d’une balle au pied et d’un projectile de canon-revolver qui lui arrache le bras droit. Un officier allemand se présente, un lieutenant du 87ème régiment. Il salue militairement, se nomme, tend la main et dit en excellent français : « Mon capitaine, je vous félicite pour votre résistance, et vous fais mes condoléances pour vos blessures. »
La nuit est tombée sous des rafales de neige. A 8 heures du soir, le lieutenant Robin, qui espère (à tort) que des renforts ne tarderont pas à le rejoindre, joue le tous pour le tous, fais mettre baïonnette au canon et entraîne ses hommes vers le « point S7 », abandonné par le capitaine Séguin ; il tombe sur un groupe d’Allemands endormis et reprend le point S7…
Citons encore Grasset : « Le colonel Driant est dans le bois. Il visite ses postes. A minuit, il est à la grand-garde n°2. Il félicite le lieutenant Robin pour sa belle conduite, puis lui explique la situation. Elle n’est pas brillante, cette situation. Les chasseurs sont en flèche, sérieusement menacés de front et sur leurs deux flancs. Les Allemands ont des effectifs énormes…
-Mais alors, demande Robin, qu’est-ce que je fais là, avec mes 80 hommes ? Le colonel le regarde longuement, comme s’il voulait peser son âme et savoir s’il pouvait tout dire à un si jeune officier.
-Mon pauvre Robin, la consigne est de rester là… Robin a compris. Il s’incline… »
Ainsi s’achève, au bois des Caures, la dramatique journée du 21 février, qui a vu une multitude d’épisodes semblables se dérouler sur les 12 Km du front assailli
JOURNÉE DU 22 FÉVRIER
A l’aube, l’investissement du bois des Caures s’est aggravé, il ne reste plus guère d’issue aux Français que par le bois Le Fays et le village de Beaumont, au sud. Et pourtant nul nouvel assaut ne se déchaîne. C’est que les Allemands, fidèles à leur principe de la priorité au canon, entendent s’en remettre aux mortiers, canons et obusiers, du soin de mater les défenseurs, avant de faire avancer leur piétaille. Jusqu’à midi, un déluge d’effrayantes explosions va donc secouer de nouveau le bois. Puis soudain c’est derechef l’attaque…
« Vers midi, raconte le sergent-fourrier Murat, du 59ème B.C.P., le bombardement commence à s’apaiser. Le commandement : »Tout le monde dehors ! »retentit. Les chasseurs n’attendaient que cet ordre pour sortir de l’abri ; aucune défense pour nous garantir.
Le colonel Driant se rend compte de notre situation et nous fais déployer en tirailleurs à droite et à gauche de l’abri. Pour nous donner de l’assurance, car nous sommes entièrement en terrain découvert, il à lui-même un fusil à la main et une caisse de grenades à sa portée, dans la position du tireur à genou. « Ils ne nous auront pas vivant, a dit le colonel ; tous nous sommes décidés à vendre chèrement notre peau. »
Un détachement du 56ème bataillon, privé de son chef, se présente au colonel. Le sous-lieutenant Debeugny, officier de liaison du bataillon depuis quelques jours, supplie le colonel Driant de lui donner le commandement de ces chasseurs ; ce désir est satisfait et, radieux, Debeugny part à la tête de son détachement. Hélas !quelques instants plus tard, nous le verrons repasser porté sur un brancard, la gorge traversée d’une balle. « Desserre ma cravate, ce n’est rien ! » avait dit quelques instants auparavant Debeugny à un de ses chasseurs, comme s’il n’avait pu admettre que la mort vînt interrompre sa tâche.
Les shrapnells éclatent toujours au-dessus de nos têtes et la fusillade est très forte en première ligne. Des soldats allemands apparaissent de plus en plus nombreux. Nous continuons toujours de tirer ; chaque apparition disparaît sous nos feux mous tenons toujours mais nos rangs commencent à s’éclaircir. Un obus qui nous vient de l’arrière éclate au-dessus de nos têtes, puis un autre, et d’autres encore. Nous croyons que ce sont nos canons qui tirent trop court. Mais bientôt, voici des mitrailleurs chargés de leur pièces qui, s’adressant au colonel, l’informent qu’une pièce de 77 allemande est installée sur la route de Ville, c’est-à-dire en arrière de nous et à notre droite, et c’est elle qui nous mitraille à bout portant. Le colonel Driant, sans manifester le moindre étonnement, leur dit : « Mes amis, c’est bien simple, vous allez mettre votre pièces en batterie juste face à la route et je ne donne pas une minute à vivre aux artilleurs.» Les mitrailleurs hésitent ; mitrailleuse contre canon, le succès de l’entreprise leur paraît incertain, mais déjà un lieutenant les entraine et ils vont se placer à une trentaine de mètres de nous, face à la route de Ville, d’où ils découvrent la pièce d’artillerie allemande.
Le montage de la mitrailleuse est fait rapidement ; nous entendons déjà les premières balles qui éclatent sèchement. Atteindront-elles leur but à temps ?... Hélas ! la pièce allemande tire aussi et le pointage est très bien réglé, car un obus tombe en plein sur la mitrailleuse, anéantissant hommes et pièces. »
Pendant ce temps, à 500 mètres de là, la compagnie du lieutenant Robin succombe.
Le lieutenant n’a pu se dégager qu’avec peine de son abri dont l’entrée était obstruée. Les survivants de sa première ligne se défendent à la grenade, car ils n’ont plus de fusils ; l’ennemi les évites et passe. En voyant arriver sur lui ces vagues épaisses, le sergent Avet qui, sur quinze hommes qu’il avait la veille, n’en a plus que six désarmés dans la tranchée 12 éboulée, avait décidé de se replier sur S6. Ses chasseurs ont pu exécuter le mouvement mais lui, resté le dernier, n’en a pas le temps. Avec son fusil, qu’il a pu conserver, approvisionné à huit cartouches, il abat quatre Allemands, puis, retournant dans sa tranchée, il gagne, par une sape pleine d’eau, un poste d’écoute où il se blottit. Il restera là jusqu’à la nuit, puis après une odyssée invraisemblable, il traversera les lignes Allemandes et sera à Vacherauville le lendemain. S6, S7et S8 sont entourés et attaqués au lance-flammes et à la grenade. Le sergent Roussi, qui commande à S6, rend compte que tous les fusils sont brisés. Les canons de 58 n’ont plus de projectiles. Les servants ont encloué les pièces et sont venus auprès des chasseurs pour prolonger avec eux la résistance jusqu’au bout.
L’ennemi s’infiltre entre les ouvrages et, faut de munitions, on ne peut l’en empêcher. Le lieutenant Robin brûle tous les documents que contient son poste de commandement, et, un fusil à la mais, fais le coup de feu avec ses agents de liaisons et son téléphoniste. Tout à l’heure, il sera entouré par les Allemands, désarmé, renversé, fait prisonnier. Assaillis par l’arrière, les postes tombent l’un après l’autre. Le lieutenant Pluntz n’a plus que quatre chasseurs valides autour de lui quand une balle en pleine poitrine l’abat. Le sous-lieutenant Pagnon, qui combattait, lui aussi, au premier rang de sa section, est horriblement défiguré par les lance-flammes. Il mourra aveugle dans un hôpital allemand quelques jours plus tard. Les sergents Ruffin et Cosyns, le caporal Fratinger luttent à la grenade, le sergent Plisson au revolver, jusqu’à ce qu’ils tombent. La 9ème compagnie n’existe plus.
Ce récit est emprunté au colonel Grasset, de même que celui qui suit :
« Personne n’est revenu non plus de la compagnie Vigneron, assaillie de front par tout un bataillon, tournée à gauche par une compagnie et a droit par un bataillon. Mais ces braves avaient des munitions et des grenades ;leurs abris ayant été moins éprouvés par le bombardement, leurs fusils étaient encore en bon état. Assez tard dans la soirée, alors que tous le bois était coupé par l’ennemi, on se battait encore de ce côté. L’ouvrage R1 pris à revers par tout un bataillon allemand est submergé, la résistance suprême va se concentrer autour de R2, où Driant a groupé la valeur de huit sections, environ cent vingt chasseurs ; de R3 où combat une-demi section de la compagnie Simon, commandée par le sergent Lépine, et près duquel le capitaine Berveiller a pris position avec un peloton de sa compagnie ; à R4 et R5, où la compagnie Quaegebeur se relie au 165ème. La compagnie Héry, du 365ème est là, elle aussi groupée à la lisière sud du bois, près du carrefour de Flabas et de Ville, prête à se porter où son action sera utile. »
Un autre commandant de compagnie du 59ème, le lieutenant Simon, évoque cette après-midi infernale. Il a rassemblé ses hommes au centre du bois :
« Tous d’un coup, par la gauche, un lieutenant du 165ème régiment d’infanterie arrive avec quelques Poilus. Il se présente, « sous-lieutenant Yves Leroux » ; il s’est égaré dans le bois qu’il ne connait pas, il ne sait où aller ; séduit par le calme et le sang-froid de chasseurs, il me propose de rester avec nous, j’accepte son offre, et je le place tout à fait à gauche, au bout de la tranchée, pour surveiller le glissement que je sens s’effectuer par là. J’aperçois de grandes flammes du côté de la G.G.I..Ce sont les pionniers allemands qui, à l’aide de flammenwerfer, ont mis le feu aux abatis. Soudain des coups de fusil nous partent dans le dos ; plusieurs de nos hommes sont touchés. Des allemands sont parvenues derrière nous ; ils se sont terrés dans un trou d’obus, et là, tirent comme à la cible, sur les chasseurs qui ne peuvent s’abriter. Je fais prévenir le colonel Driant et lui demande quelques hommes pour débusquer les Allemands de leur trou. Cela prend quelques minutes et, tandis que les pionniers, sous la conduite du sergent Hacquin, s’avancent de l’autre côté du grillage, avec le sergent Alliaux, je reprends pied dans la tranchée que les Allemands occupent déjà et commencent à retourner. A coups de baïonnette, à coups de crosse, de pelle, de pioche, de tous ce qui nous tombe sous la main, nous nous précipitons sur eux dans n furieux corps à corps. Ils lâchent pied, laissant quelques-uns des leurs entre nos mains. »
Mais les attaques ont repris sans interruption, non seulement sur le point R2, où Driant se bat en première ligne,- La première ligne est d’ailleurs partout ! –Mais R3, à 300 mètres à gauche. Grasset écrit :
« Vers trois heures de l’après-midi, une formidable ruée se produit sur R3. Un régiment déferle, balayant la demi-section Lépine, détruisant réseaux et fascines, rejetant sur Joli-cœur le peloton du capitaine Berveiller, réduit des trois quarts. Dans les tranchées qui entourent R2, tout le monde est en ligne : chasseurs des 56ème et 59ème bataillons, pionniers, télégraphistes, agents de liaisons, cuisiniers, plantons, artilleurs des pièces de 58, mitrailleurs. En tout, il reste encore soixante-dix ou quatre-vingt hommes dont les officiers présents se partagent le commandement. »
Retournons auprès du sergent-fourrier L.Murat, qui nous a dit comment une pièce de 77 prenait à revers les chasseurs et tirait sur eux en « direct »
« Il est près de 16 heures maintenant ; notre situation est très critique ; les balles nous sifflent aux oreilles de toutes les directions ; la pièce de 77 nous mitraille sans répit. Après en avoir conféré avec le commandant Renouard et le capitaine Vincent, le colonel Driant décide de nous replier afin de continuer plus utilement notre résistance en arrière. Nous partons en trois groupes. »
Ce repli limité, le chef de corps, impassible comme à l’exercice, l’entreprend sous le couvert de la compagnie Simon, une poignée d’hommes, dont le dernier échelon, la section Spitz, va être anéanti en quelques instants. Et cependant, Driant tient à montrer qu’il n’a nul hâte de partir :
« Il s’est arrêté au poste de secours qui est près de la lisière où le docteur Baudru et le Père de Martimprey se multiplient auprès de nombreux blessé. Volontiers, il restait là, auprès de ces braves, à leur parler, à les réconforter… Il regarde le mouvement. Le lieutenant Simon le rejoint avec une dizaine d’hommes : tous se qui reste de la compagnie. Le temps presse ; les Allemands sont là. Avec un calme magnifique, le lieutenant Simon, admirablement secondé par le sergent-major Savart, les maintient encore à une soixantaine de mètres avec sa poignée de braves. Même l’adresse et le sang-froid extraordinaire d’un tireur d’élite, dont le nom n’a pu être conservé, et qui, à lui seul, en abattit plusieurs, les oblige à se terrer. Mais ils progressent avec rapidité sur les flancs. »
Et voici l’heure de la mort de l’intrépide Driant. Près de lui, le chasseur Papin vient d’être frappé d’une balle. Driant tire de sa poche un sachet de pansement, bande le blessé et repart. Le sergent pionnier Jules Hacquin raconte :
« Je venais de ma laisser tomber dans un trou d’obus lorsque le sergent qui accompagnait le colonel Driant d’un ou deux pas se laissa tombé dans le même trou que moi. Ce sergent, il me l’a dit après, se nommait Coisne, et appartenait au 56ème Chasseurs. Après l’avoir vu sauter dans le trou, j’ai vu nettement le colonel Driant sur le rebord même de ce trou d’obus faire un geste d’étendre le bras en disant : « Oh ! Là, mon Dieu ! » puis faire un demi-tour sur lui-même et s’affaisser en arrière, face au bois. De l’intérieur de notre trou, son corps allongé ne nous était pas visible à cause des terres rejetées tout autour. Comprenant que le colonel venait d’être blessé, nous nous efforçâmes aussitôt Coisne et moi, de dégager à l’aide de nos mains la terre qui nous masquait le colonel. Nous voulions le prendre sans sortir du trou d’obus et le déposer près de nous. Dés qu’une ouverture fut suffisante, nous avons pu voir le colonel. Il ne donnait plus signe de vie, le sang coulait d’une blessure à la tête et sortait aussi par la bouche. Il avait le teint d’un mort et ses yeux étaient à demi-fermés. A ce moment il pouvait être 16 h. 30. »
Presque en même temps que Driant, le commandant Renouard, qui non loin de là surveillait le décrochage des hommes, tombait lui aussi d’une balle au front. Les 56 et 59ème bataillons n’avaient plus de chefs. Grasset termine ainsi son récit : « Descendirent seuls, ce soir-là, du bois des Caures en petites fractions qui se rassemblèrent peu à peu à Vacherauville :
Du 56ème bataillon : le capitaine Vincent, atteint de deux blessures et réservé pour une mort glorieuse sur un autre champ de bataille ; le capitaine Hamel, le capitaine Herveiller, le lieutenant Raux et le sous-lieutenant Grasset, avec une soixantaine de chasseurs.
Du 59ème bataillon : le lieutenant Simon, les sous-lieutenants Leroy et Malavault, avec cinquante chasseurs.
C’est tous ce qui restait de douze cent combattants. »
Dans ses « Souvenirs de guerre » le Kronprinz Frédéric-Guillaume écrit :
« Le XVIII° corps d’armée avait reçu l’ordre d’enlever à tout prix le bois des Caures ce jour-là, et était dans l’après-midi fortement engagé dans la forêt à la hauteur de la route Ville-Vacherauville. Les deux corps voisins reçurent l’ordre de soutenir le XVIII° corps d’armée par une action de flanc. »
Il Fallut donc un corps d’armée allemand tout entier, le 18ème , »soutenu »(sic) par deux autres (le 3ème et le 7ème) et pourvus d’une artillerie gigantesque, pour venir à bout des deux bataillons de chasseurs galvanisés par Driant et que nul canon de 75 ne soutenait : dés le déclanchement de la « préparation » allemande, les liaisons avaient , en effet, été coupé avec nos batteries, qui ne purent de ce fait exécuter nul barrage, et furent d’ailleurs presque toutes culbutées par les 210.
Grâce aux vingt-cinq heures de la résistance de nos gars, imités sur les 12 Km du front d’assaut par d’autres héros anonymes, l’ennemi progressa, durant les quatre premiers jours de la bataille, que de 2 Km par jours en moyenne, ce qui permit aux renforts (débiles) d’intervenir le 26 février et de rétablir, tant bien que mal, la situation…